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   Le marchand d’art suisse Yves Bouvier, le consultant en art Olivier Thomas, les galeries parisiennes Kraemer et Aaron ont un malheureux point commun : ils ont tous été accusés d’escroquerie, respectivement par le collectionneur russe Dmitri Rybolovlev, la belle-fille de Picasso Catherine Hutin-Blay, et l’Office Central de lutte contre le trafic de Biens Culturels (OCBC).

 

Dans la première affaire, l’acheteur milliardaire Dmitri Rybolovlev accuse son marchand Yves Bouvier d’avoir revu à la hausse les prix réellement demandés par les vendeurs. Il estime que celui-ci ne devait jouer que le rôle d’intermédiaire négociant et évalue son préjudice à plus d’un milliard d’euros. A l’inverse le marchand se présente comme un commerçant, qui acquérait les tableaux avant de les revendre à son client, se permettant donc de faire des plus-values sur les ventes. 

Dans la deuxième affaire, la belle-fille du peintre Pablo Picasso avait chargé son consultant Olivier Thomas de transporter les toiles du maître lors de la vente de sa maison en 2008. Elle déclare volés à cette occasion notamment deux portraits qui seraient passés par les locaux d’Yves Bouvier, associé d’Olivier Thomas, avant d’être revendus au même collectionneur russe Dmitri Rybolovlev. Aujourd’hui Picasso est  l’artiste le plus convoité au monde avec 178,7 millions d’euros générés aux enchères rien qu’au premier semestre 2016…

Enfin l’OCBC a interpellé le 7 juin 2016 Laurent Kraemer et Bill Pallot afin de procéder à une enquête qui doit déterminer si plusieurs meubles acquis par le Château de Versailles sont des faux ou non. 

 

Tous les suspects sont donc sous contrôle judiciaire, en attendant le verdict des juges ! Mais comment la loi détermine-t-elle l’escroquerie, cette notion largement employée dans le langage courant parfois à mauvais escient, et comment l’appliquer au marché de l’art ? 

 

En droit français, l’escroquerie est définie par l’article 313-1 du Code pénal comme étant « le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus de qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne et de la déterminer ainsi à remettre des fonds ». 

Ainsi elle ne constitue pas un vol car elle a précisément pour but de pousser la victime à remettre volontairement des sommes, un bien ou à exécuter une prestation. Ce délit est donc notamment invoqué lorsque l’acheteur se rend compte qu’il a acquis une oeuvre qui n’est pas authentique. 

Celui qui se prétend victime d’une escroquerie doit rapporter la preuve de deux éléments : l’existence de moyens frauduleux intentionnels tels que le mensonge, l’usage de faux, l’abus de confiance... et le caractère déterminant qu’ils ont eu pour la victime. 

 

En matière de droit du marché de l’art, le faux peut être caractérisé par une réalisation dans le style et à la manière de l’auteur portant une signature apocryphe dans un but frauduleux. L’intention frauduleuse se traduit par une volonté de tromper, dans le but même d’induire en erreur l’acheteur ou le client. 

Ainsi lorsque des faux ont été utilisés pour commettre une escroquerie, la Cour de cassation estime que deux infractions distinctes ont été commises car elles ne reposent pas sur le même fondement (1). La sanction de l’escroquerie est justifiée par l’atteinte qu’elle porte à la propriété privée d’autrui tandis que la production de faux porte atteinte à la confiance publique. 

 

Si le Code pénal mentionne l’exigence d’un préjudice dans sa définition de l’escroquerie, la jurisprudence a quant à elle pris quelques libertés à l’égard du texte : la Cour de cassation considère en effet que le préjudice résulte dans l’extorsion même du consentement. Peut être a-t-elle souhaité par là réduire la charge de la preuve qui pèse déjà sur la victime en cas d’escroquerie : prouver la manoeuvre frauduleuse, l’intention de son auteur et l’influence de la manœuvre sur la volonté des parties n’est déjà pas évident, voire même impossible. 

 

L’escroquerie appliquée aux œuvres d’art constitue un enjeu indéniable dans la mesure où elles sont de plus en plus appréhendées comme de véritables placements financiers et occupent une place de plus en plus importante sur le marché économique : à titre d’exemple, le 15 août 2008 la vente des œuvres de Damien Hirst a récolté près de 89 millions d’euros, alors que dans la même journée la banque Lehman Brothers se déclarait en faillite. La valeur de l’art ne cesse d’augmenter : le produit mondial des ventes aux enchères a atteint 16 milliards de dollars en 2015 (2). 

 

La sécurisation des ventes, l’authenticité et la valeur des œuvres doivent donc pouvoir être garanties pour protéger à la fois le vendeur et l’acheteur. 

En ce sens la Cour de cassation vient de confirmer au mois de juin une sanction dissuasive édifiante à l’encontre d’un commissaire-priseur et d’une société de ventes volontaires pour avoir manqué à leurs obligations et notamment pour une sous-évaluation manifeste des œuvres mises en vente : une interdiction d’exercer pendant une durée de trois ans (3)!

 

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Sarah Tantin

 

(1) Cour de cassation, crim. 14 novembre 2013 n°12-87.991 

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(2) Rapport Annuel sur le marché de l’Art en 2015 – The Art Market in 2015 by ArtPrice & Art Market Monitor of Artron (AMMA)

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(3) Civ. 1ère, 15 juin 2016 n° 15-19.365

HUMEUR

De l'escroquerie dans l'art

1er novembre 2016 - Sarah Tantin 

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Sarah, 22 ans, toulousaine à l’origine. Après la bi-licence droit et histoire, je me suis tournée vers le droit fiscal, même si je m'intéresse toujours à l'art. Grande admira-

-trice de Dali the best, Frank Gehry et Pierre Huyghe. Fan de danse et surtout de la salsa, de musiques électroniques avec mon chouchou Marcel Dettman, et de Rami Malek (vive les hackers!). 

Sarah Tantin

De l'escroquerie dans l'art

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