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Juliette Molitano

   Le livre d’Elena Ferrante, L’amie Prodigieuse, connaît aujourd’hui un succès mondial. Cet ouvrage retrace l’enfance et le début de l’adolescence de deux jeunes filles, Elena et Lila, au sein de métropole napolitaine du Sud de l’Italie. Elena, narratrice, est supposée être l’auteure du roman, cela n’est pas certain, mais seulement hautement probable car cette-dernière n’a jamais souhaité révéler son identité. Ces deux jeunes filles ont des personnalités opposées, et leur amitié qui n’est à l’origine pas évidente, va se construire au fil du roman notamment grâce à l’importance qu’elles portent à l’école. 

 

Une amie prodigieuse offre une mise lumière d’éléments révélateurs de la vie napolitaine des années 1950. Ces-derniers sont à plusieurs reprises évoqués et permettent de comprendre les trajectoires opposées que vont connaître les deux protagonistes.

 

Afin de mieux comprendre le contexte du roman, il est utile de préciser que l’unification de l’Italie en 1870 lors du Risorgimento -unification de la nation italienne- entraine un déséquilibre dans le pays : le Sud se retrouve dans une situation de grande précarité par rapport au Nord du pays. De plus, suite à la Seconde Guerre Mondiale, les soldats américains investissent la ville à la suite de la Libération. Ainsi, la ville ne connaît pas de situation de réelle indépendance durant une longue période.

 

 

Dans les années 1950, décors du roman, un changement se produit suite à la victoire d’un parti de centre gauche, rendant ainsi ses lettres de noblesse à une souveraineté populaire bafouée par la présence des troupes étrangères dans la ville. Se développe alors un phénomène politique et social appelé le Laurismo, qui consiste en une expérience populiste, basée sur un lien fort entre un leader charismatique, Achille Lauro, et les plus démunis. Bien que circonscrit entre 1952 et 1962, le Laurismo représente une discontinuité dans la soumission de la ville napolitaine, qui se retrouve pendant dix ans indépendants de toute puissance étrangère. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A travers la vie quotidienne d’habitants d’un quartier populaire, le roman développe plusieurs aspects sociaux de l’époque : la violence, l’importance du dialecte plutôt que de la langue nationale, la question du transfuge de classe ainsi que la fracture sociale à Naples. 

 

Il semble tout d’abord intéressant d’évoquer la violence régnant dans le quartier des deux protagonistes du roman. On peut tout à fait supposer, grâce aux descriptions faites par l’auteure, qu’il s’agit du quartier Rione Luzzatti. Composé de dizaine d’immeubles similaires, il fut construit entre 1914 et 1925, mais ce n’est après la Seconde Guerre Mondiale que la ville de Naples décida de le faire renaître en s’inspirant des dessins architecturaux de l’Italie fasciste.

 

C’est dans ce quartier populaire que la mafia trouve un terrain fertile. Les rouages de l’organisation mafieuse se dévoilent : très verticale, basée sur une hiérarchie très stricte et ordonnée, permettant de contenir le pouvoir entre les mains de quelques ordonnateurs. Ces années marquent la mise en place de la Camorra -mafia napolitaine- moderne : les clans sont moins familiaux et la structure est de plus en plus horizontale. Si la situation sociale élevée des camorristes inspire le respect des autres habitants, leur autorité est davantage fondée sur la crainte qu’ils exercent, notamment par des pressions sur les horaires d’ouverture des commerces du quartier. Les camorrsites font des alliances avec les propriétaires de boutiques dans le but de leur imposer des politiques marchandes, privant ainsi les commerçants de ce quartier populaire d’une partie de leurs revenus et de leur propriété. 

 

La Camorra est développée dans l’ouvrage comme étant un sujet tabou. En effet, au sein des familles, les parents n’expliquent pas à leurs enfants pourquoi il est nécessaire de respecter aux ordres des mafieux. Lila est directement soumise à l’organisation mafieuse dans le roman lorsque, lors d’un concours de l’école elle laisse gagner le fils du camorriste le plus craint du Rione Luzzati.  Un comportement qui relève plus de l’autocensure, car l’institution de ce rapport de domination se retrouve assimilé dès le plus jeune âge ». Cet exemple est le reflet d’une situation très critique où, la mafia est présente dans un lieu public et protégé qu’est l’école. 

 

 

Le quartier de Lila et d’Elena est régi par une dictature des apparences, une lutte acharnée entre les familles, pour déterminer celle qui sera la plus respectée. Ce respect tient à la richesse matérielle accumulée, car c’est signe ostensible de réussite sociale, événement peu courant dans ce milieu. Le livre explique très bien l’événement du Capodanno -soir du 31 décembre- où la tradition napolitaine veut que des groupes privés, famille et amis, tirent des feux d’artifices. Elena Ferrante montre comment même cette tradition devient une occasion d’affrontement de deux familles, pour savoir qui tirera le feu d’artifice le plus important et dont on parlera pendant des jours. Si chacune des familles du quartier se démène pour proposer le feu le plus grandiose, le plus fou, c’est en vain… Les camorristes ne laissent pas de place aux autres pour briller : « Tout le monde savait, dans le quartier, que ce qu’on avait vu jusqu’alors n’était rien et que les Solara -famille mafieuse- ne se déchaîneraient vraiment que lorsque les pouilleux en auraient fini avec leurs misérables divertissements, leurs crépitements miteux. »

 

 

La question du paraître et de la possession matérielle s’accompagne de celle du transfuge de classe. En effet, grâce à la richesse il est possible de s’élever socialement, et donc de quitter son quartier d’origine pour de prétendre à une vie meilleure. Dans cette Italie qui connait un boom économique, la distinction par les effets matériels est prégnante, notamment avec l’apparition des appareils électroménagers. L’auteure le signale par l’exemple de Lila, qui grâce à son mariage devient plus aisée et peut se permettre d’avoir une salle de bain avec une baignoire. En effet, à la suite de la Seconde Guerre mondiale et en considération de la pauvreté du quartier, personne n’était en mesure de posséder un tel bien. L’acquisition d’un tel objet de luxe, de surcroît par une jeune fille de dix-sept ans, apparaît aux yeux des autres habitants comme un évènement exceptionnel. 

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Mais, un second moyen existe afin de s’élever socialement : les études. Or, pour une personne d’un quartier défavorisé, qui plus est une jeune fille, l’accès à une éducation supérieure est très rare et bien plus difficile à atteindre que la richesse pécuniaire. Le roman permet de comprendre à quel point le transfuge de classe peut être un moment douloureux de par la difficulté de s’éloigner de son milieu d’origine et dans le même temps d’assimiler de nouvelles pratiques. Le cas du dialecte napolitain est représentatif de cette accession à une classe sociale supérieure. En effet, dans les différents quartiers populaires de Naples, le dialecte - napolitain- est la langue utilisée de façon courante, au détriment de l’italien, peu maitrisé par les plus pauvres. 

 

A l’école, les enfants habitués à pratiquer le napolitain sont obligés d’apprendre et de parler l’italien. Ayant pas ou peu d’éducation scolaire, les générations précédentes maitrisent mal l’italien, c’est pourquoi au sein du cadre familial l’usage du dialecte est de mise. Cette séparation de langage selon l’environnement engendre un tiraillement entre les deux identités de l’enfant, à la fois d’origine modeste mais parlant la langue de l’élite. Il est donc fréquent à cette époque que les jeunes faisant des études pratiquent un italien correct et soient distingués par les habitants de leur quartier s‘ils conversent avec eux. Cette distinction peut être de deux ordres. Dans un premier cas elle est avantageuse pour la personne qui parle italien car on relèvera son niveau culturel élevé. Mais dans le second cas, il peut aussi être traité avec dérision, on considérera une telle pratique comme un rejet de son milieu d’origine et une volonté de s’en distinguer. Il est important de noter que le napolitain est pour les habitants de Naples plus important que l’italien car toute une culture y est attachée : opéra, littérature notamment. 

 

Dans un contexte de boom économique au sein de quartiers populaires le travail emportant une production matérielle est souvent plus valorisée que les études.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Juliette Molitano 

 

 

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HUMEUR

La littérature comme témoignage d’une réalité sociale

L’amie prodigieuse

5 avril 2017 - Juliette Molitano 

À PROPOS DE L'AUTEUR 

J’ai 20 ans et suis étudiante en L3 de Science Politique. Mes passions sont nombreuses mais la plus essentielle est celle de voyager. Je pratique régulièrement la course à pied et le second degré!

La ville de Naples, si vivante, a connu des bouleversements réels dont les changements ont été pour certains très rapides. Les années 1950 marquent un tournant, notamment avec une renaissance de la Camorra qui avait été étouffée sous Mussolini. Cette organisation n’a cessé de croître et d’occuper une place importante dans la vie des habitants. Malgré les problèmes divers liés cette criminalité et à une précarité croissante, surtout depuis la crise économique, elle n’en reste pas une des villes les européennes les plus riches culturellement, et surtout socialement !

De l'escroquerie dans l'art

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