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À PROPOS DE L'AUTEURE 

Ariane Dib

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Actuellement en master de Droit du Patrimoine culturel, je suis passionnée par l’art et notamment celui du XIXè et le théâtre. Voilà désormais trois ans que j’écris pour l’Aparté pour aiguiser mon regard sur le monde de la culture.

Les Jeunes Ont La Parole au Louvre
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- Edition de Printemps - 
les 29 mars, 5 et 12 avril 2019 de 19h à 21h
Dans tout le Musée du Louvre
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Plus d'infos par ici :
 
https://www.facebook.com/events/709411552787703/?event_time_id=709411559454369
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Rencontre avec Anne-Sophie Vergne

29 mars 2018 

   Au cours de la seconde nocturne de décembre dédiée au programme les Jeunes Ont la Parole au Louvre, j’ai eu l’occasion d’interviewer Anne-Sophie Vergne, qui le dirige. Les JOP consistent en deux séries annuelles de nocturnes au Louvre durant lesquelles des étudiants de filières variées présentent une oeuvre du musée selon le point de vue que leur offre leur cursus. 

 

 

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AD : Bonsoir Anne-Sophie Vergne, merci d’avoir accepté de me rencontrer ce soir alors que vous êtes en pleine « action ». Est-ce que vous pourriez commencer par nous expliquer un peu votre parcours universitaire et professionnel ?

 

ASV : Bonsoir, alors mon parcours personnel ? C’est compliqué, enfin un peu long… J’ai fait des études de littérature, puis de philosophie. J’ai passé le CAPES de lettres, donc j’ai enseigné 2 ans dans le 93 en tant que professeure de français. Je me suis dit que ça allait être compliqué, je ne voulais pas rester coincée dans cet univers là, donc je suis partie. Après avoir travaillé dans la formation professionnelle, j’ai eu la chance de pouvoir faire des émissions documentaires France Culture sur des tranches d’une heure et demi ou cinq fois une demi heure, le programme « Surpris Par la Nuit », « les Nuits Magnétiques » puis « Les Chemins de la Connaissance » (qui à l’époque étaient des documentaires mixés à partir d’interviews). Puis le travail commençant à manquer, les cases documentaires commençant à disparaître, j’ai cherché un autre travail. Je suis arrivée à Antennes Internationales qui est une société d’audio-guidage, de contenu multimédias pour les musées. J’étais embauchée sur le parcours chef d’oeuvre au Louvre. J’ai enregistré des conférenciers, des conservateurs, … pour faire ce parcours. Ensuite sur les contenus de l’audio-guide du Louvre qui à la base consistait à interviewer des conservateurs devant les oeuvres le jour de fermeture avec les problèmes sonores que ça peut poser. Parce qu’évidemment y a les aspirateurs, les campagnes de régies … toutes sortes de perturbations. C’était assez épique. On passait par un parcours sonore et de montage tout ça pour arriver à des modules de trois minutes. On en a fait huit cent comme ça, on était trois journalistes. 

Puis j’ai décidé de faire une formation complémentaire. J’ai fait le master en management des organisations culturelles de Dauphine. Puis j’ai recherché du travail. J’ai failli être embauchée une première fois au Louvre pour d’un poste mécéné autour du numérique, « Muséolab ». La deuxième fois était en fait la bonne, je suis rentrée au Louvre en 2015 sur le poste de chargée de programmation partenariat enseignement supérieur au service éducation et formation de la direction des relations extérieures du Musée du Louvre.

 

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AD : C’est un parcours vraiment … hétérogène, mais qui a commencé dans l’art avec la médiation. Est-ce quelque chose qui vous tient à coeur ?

 

ASV : Quand on fait de la radio, quelque part on fait déjà de la médiation. J’étais professeure avant. En fait ce qui a toujours été important pour moi était à la fois de comprendre et de transmettre. Toutes les activités que j’ai eu avaient ça en commun, toujours une volonté de faire parler pour que les gens aillent mieux. L’art n’est pas forcément une thérapie, c’est encore quelque chose de différent. D’une certaine manière, je pense que l’accès à l’art et à la culture en général … ce sont des choses qui, quand on traverse des choses compliquées, restent avec vous et vous accompagnent. J’ai été professeure aussi donc ça me touche beaucoup de faire venir des jeunes qui n’ont pas forcément une culture de l’art, une culture classique. D’autant que le Louvre est un musée d’art ancien, avec des oeuvres qui reflètent des époques très lointaines de nous. Souvent les jeunes qui viennent ici n’ont pas l’idée du contexte culturel dans lequel elles s’inscrivaient. Moi j’en ai un peu, bien évidemment pas toute la connaissance.  Pour moi le plaisir de ce métier c’est simplement qu’il y ait une rencontre entre un espace, une oeuvre et un jeune. Qu’il y ait une petite étincelle, qu’il mène un travail ou se promène et que par une certaine réaction assez immense, pas toujours compréhensible, il rencontre un  visage, un détail, une couleur, le pied d’une statue, que sais-je ? Ou la cour Marly et qu’il se dise « wow ». Et à travers ce programme en particulier on a le plaisir d’entendre un jeune parler de « son oeuvre », il se dit qu’il montre à ses parents « son oeuvre », c’est le summum de la joie, on a tout réussi. Parce que la médiation c’est une chose mais transmettre un patrimoine, pas qu’un savoir mais aussi une émotion, c’est viscéralement important. 

 

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AD : En tant qu’ancienne professeure, il est important de maintenir ce programme qui a maintenant plus de 10 ans pour l’effet qu’il a sur les jeunes ?

 

ASV : Oui… Je n’avais pas été embauchée sur ce dossier mais sur le développement des partenariats avec l’enseignement supérieur et la collègue qui s’occupait des JOP est partie, le programme m’est revenu. J’ai découvert le programme. Le titre ne m’inspirait pas beaucoup, ne me sollicitait pas. Ma camarade m’a invitée à venir voir par moi-même et je me suis alors aperçue de l’ampleur du déploiement des jeunes dans le musée et ce qu’ils apportaient comme lectures nouvelles des oeuvres. Je me suis dit que c’était un sacré outil de démocratisation culturelle, d’accès aux oeuvres quand on a pas les connaissances. A ce moment là on a devant soi des gens à notre dispositions, des jeunes en plus qui ne sont pas impressionnants, ils n’ont pas de casquette conférenciers RMN ou conservateur de musée. Ils sont faciles d’accès, ils ont ces teeshirts qui permettent de les reconnaître, de les voir. Et puis il y a une atmosphère joyeuse, extrêmement dynamique, qui n’est pas celle du musée en général plutôt sérieux, surtout le soir où les gens viennent étudier, ou dédié aux hordes de touristes. Il y a là une ambiance propice à une sorte de convivialité qui est à mon avis une clé si on veut fidéliser les jeunes adultes et le public en général. Il faut qu’il passe un bon moment et qu’ils se rencontrent. 

 

J’avais beaucoup travaillé avec des écoles d’arts appliqués, de design, je les ai incluses. Avoir des objets aussi, des déguisements, des tablettes … ça donne encore plus de curiosité au public et permet d’augmenter ce côté interdisciplinaire qui existait déjà avec les médecins, les musiciens, les vétérinaires… On ouvre sur les arts plastiques. En plus c’est vrai qu’ici c’était le lieu de l’Académie, où l'on formait les jeunes artistes, il y a un côté transmission de cet aspect pédagogique mais pas que, aussi de l’inspiration pour créer quelque chose de nouveau à partir des arts anciens. Et ça, c’est très important pour moi. Je pense qu’une oeuvre qu’on ne regarde pas et qu’on interprète pas de manière contemporaine est un peu une oeuvre morte.

 

Pasolini disait « on meurt parce qu’on est plus compris ». Ce n’est pas parce que l’auteur est mort que l’oeuvre n’est plus vivante. Si on ne la comprend plus, qu’on ne l’interprète plus ou ne lui trouve plus une histoire ou quelque chose à projeter personnellement, là elle meurt. Et ça m’est insupportable en tant que grande amoureuse du patrimoine. Je trouve qu’il y a des histoires à transmettre ici, des histoires qui peuvent être interprétées autrement. C’est une sorte de grand catalogue mondial où on trouve toute sorte d’histoires, de formes, de couleurs, d’interprétations de l’humanité, d’ouverture sur la nature … Et en plus on est dans un palais avec des strates historiques différentes. C’est pour moi, un lieu dédié à l’imaginaire. Si quelqu’un se trouve dans un musée, a été amené là et qu’il ne rencontre pas une oeuvre, n’en sort pas avec une impression, que rien ne se passe, c’est un échec. Je ne pense pas que ça arrive au Louvre parce que c’est vraiment une expérience à part entière.

Ce qui est parfait avec les étudiants c’est qu’ils travaillent avec leur professeur sur une oeuvre, ils l’interprètent. Le but ce n’est pas tant qu’ils obtiennent un savoir comme à l’Ecole du Louvre, le but pour un étudiant en médecine, en design, en BTS tourisme, … c’est qu’ils s’approprient une oeuvre, qu’ils arrivent à en tirer quelque chose qui les motive, qu’ils inventent quelque chose à partir de là ou bien qu’ils montrent ce qu’ils voient à partir de leur discipline. C’est aussi une richesse pour le public et le musée.

 

 

AD : Vous pensez qu’aujourd’hui dans le monde de la culture il faut encore faire beaucoup d’efforts pour décloisonner le monde de l’art pour que des gens qui ne sont pas forcément issus d’études artistiques aient accès à l’expérience de l’art ?

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ASV : C’est compliqué l’expérience de l’art. Malraux avait raison en disant que « Si un jeune homme est touché par un poème de Baudelaire qui parle d’amour et y reconnait sa propre expérience, la mission est accomplie, Baudelaire survit ». Ce qui se passe ce n’est pas forcément du savoir, on transmet l’art si on arrive à transmettre une émotion.

Je pense que la société d’aujourd’hui produit de toute façon un public éloigné des musées. Tout ce qui était de l’ordre de la transmission culturelle dont parlait Bourdieu dans Les Héritiers, dans les années 1960, aujourd’hui est obsolète. Les enfants de la bourgeoisie connaissent mieux les séries américaines que les oeuvres « fondamentales » de l’humanité, les grands chefs d’oeuvre du monde de l’art. Ce qui les inspire est devenu autre chose. La culture populaire est finalement devenue la culture dominante, presque socialement. C’est intéressant car tout un champ de transmission est à travailler. Comment faire passer ces oeuvres muettes dans des musées, ces bibliothèques avec tant d’ouvrages ayant été pour l’humanité entière une source d’inspiration et de retour sur soi, tout ce patrimoine ancien au XXIe siècle ? Ce n’est pas une question évidente, les conditions de transmission sont différentes.

Bien sûr il reste ce minuscule groupe qui connait et qui transmet, c’est très bien. Jean-Pierre Vernant, disait que de toute façon, à chaque générations il n’y avait qu’une trentaine de personnes pouvant lire et comprendre couramment le grec, c’est tout, le reste connaît un peu mais n’est pas expert. C’est normal. Le grand effort et le grand enjeu du XXIe siècle réside dans le fait qu’on ait voulu démocratiser l’art. Que tout le monde y ait accès, pas simplement les amateurs. C’est l’après guerre et l’héritage du du Front Populaire.

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AD : C’est exactement ce que dit le premier article du décret instituant ministère des Affaires Culturelles lorsqu’il donne à l’administration la mission de « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »

Pensez-vous qu’organiser les JOP de façon si récurrente permet d’amener de nouveaux publics dans le Louvre, y compris de d’amener à nouveau les jeunes dans le Louvre alors qu’ils ont perdu l’habitude d’y venir après l’époque des sorties scolaires à l’école ?

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ASV : C’est assez compliqué en effet, c’est une grosse mission que d’amener un public jeune ici. Tout d’abord parce que le Louvre est difficile d’accès, physiquement. Aller au Louvre il faut le vouloir. C’est dans un quartier assez chic et cher, il n’y a pas forcément de commerce autour comme à Beaubourg, il y a les touristes dans la journée, la queue … Il faut aller aux nocturnes si on les connaît. Mais ce qui manque selon moi c’est un endroit avec de la convivialité où je pourrais me poser, prendre un verre, me mettre sur un coussin pour me reposer dans les salles, avec des livres, avoir des moments de repos … Ici, les moments de scansion où on peut reprendre son souffle sont assez restreints. La programmation culturelle est encore à travailler. Les JOP c’est ça mais il y a encore à faire.

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Oui des jeunes ont la parole, mais par exemple l’entrée reste encore payante pour leur famille. Ça pose un problème pour un instrument de démocratisation culturelle. L’entrée est encore à quinze euros à part pour les moins de vingt-six ans, c’est un obstacle. Chaque année on se pose de nouvelles questions  pour savoir comment développer ce programme.

 

Pour revenir à votre question, le public est différent à chaque fois. Il y a le public occasionnel, étranger, francilien ou pas, des jeunes aussi. Les jeunes qui font de la médiation entrainent aussi des jeunes qui viennent les voir. Renouveler le public oui, le fidéliser.

 

On ne fait pas de miracle mais il y a des choses qui font plaisir. Un professeur vient de me dire que les anciens des JOP reviennent voir leurs camarades de cette année, et là on se dit qu’on a réussi. Non seulement ils sont venus une fois mais ils reviennent et ils entraînent des gens avec eux pour participer au programme.

 

Il n’y a pas beaucoup de communication autour de ça. On a mis en place une communication numérique qui nous donne une liberté incroyable mais du coup, les gens qui par hasard viennent aux JOP une fois sont surpris, veulent revenir. « Oh mais c’est génial ! C’est tous les vendredi soir ? ». Et finissent par revenir. Ça marche au bouche à oreille, c’est notre fonctionnement. 

 

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AD : Vous parliez de la question du prix, est ce que cela fait partie de réflexions qu’on vous a faites ? Quel type de réactions aux JOP recevez-vous ?

 

ASV : On a beaucoup de travail, on ne réfléchit pas sur tous les aspects sur le moment. Mais j’ai été faire une présentation des JOP pour les jeunes du BTS tourisme à Clichy, qui sont là pour faire la "propagande"  des JOP sous pyramide et aux entrées des ailes, et une jeune fille me demande « mais c’est gratuit ce soir là ? C’est combien l’entrée ? quinze euros, non. » Typiquement les familles de ces jeunes ne peuvent pas venir au JOP. On sent bien qu’il y a un problème. On a des canaux pour faire venir des publics défavorisés au Louvre mais le public défavorisé s’il n’est pas encadré et a plus de vingt-six ans, il ne vient pas. Il faut qu’il soit chômeur, s’il ne l’est pas mais n’a pas quinze euros à dépenser un soir au Louvre, il ne peut pas. On sait très bien d’après les études sur les pratiques culturelles des Français, que dès qu’ils ont un peu d’argent, ils vont à Disney, au cinéma … La culture arrive tout en bas de la liste. Je ne sais pas si on arrivera à faire des miracles même si au Louvre on a une grosse politique de démocratisation culturelle. Mais il n’y a pas de mouvement, de vague de démocratisation culturelle. On fait venir un public avec beaucoup de différents leviers mais est-ce que le public revient ? Que fait-il pour ses enfants ? On l’ignore.

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On est aussi dans une société qui s’éloigne de la culture, de la culture telle qu’on se la représente, pas de la culture populaire devenant la culture dominante, celle de Beyoncé. La gratuité ne fonctionne pas non plus pour faire venir les gens au musée … On essaie de faire beaucoup de choses, le pass culture par exemple, de nouvelles nocturnes le samedi, les JOP … Mais malgré tout, cela échoppe à quelque chose. Depuis les années Lang, la volonté de démocratiser la culture, ça marche mais pas au degré où on pouvait l’espérer.

 

AD : c’est vrai que c’est d’autant plus difficile que la France a déjà une politique publique culturelle assez avancée. Si on regarde les autres musées en Europe du même « standing » que le Louvre, les prix sont totalement différents (un musée à Vienne ou Amsterdam coûte environ dix-sept euros même pour un étudiant …

 

ASV : Sauf en Angleterre où c’est encore gratuit pour un petit moment, c’est remis en cause …

 

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AD : C’est difficile d’aller tjrs plus loin et en même temps, c’est dommage de ne pouvoir  privilégier les actions qu’à l’égard d’une section de public dit « défavorisé ».

 

ASV : C’est difficile à mettre en place. Ça demande énormément de ressources humaines. Le Louvre en est riche par rapport à d’autres établissements mais pas suffisamment riche face à la demande monumentale. On a dû mal à traiter tout ça, c’est très frustrant. 

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AD : Pouvez-vous nous parler de l’avenir des JOP ? 

 

ASV : C’est un programme qui fonctionne bien, je ne peux pas vous dire ce qu’il en sera. J’espère qu’il continuera encore longtemps. On est en train de re-formater nos actions en matière éducation et démocratisation culturelle donc nous verrons bien.

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AD : Merci de m’avoir reçue et merci d’organiser les JOP.

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Propos recueillis par Ariane Dib

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