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Recontre avec Emmanuel Layan

En 2016 a été publié le 16ème Rapport Annuel du Marché de l’Art mondial.  12,45 milliards de dollars : telle est la somme à laquelle s’élève la totalité du fruit des ventes aux enchères de  l’année. Si le marché de l’art peut nous paraître puissant, celui-ci est confronté, depuis plusieurs années, à de nouveaux défis. 

C’est ce que nous confirme Emmanuel Layan, commissaire-priseur que vous avez sûrement connu dans l’émission Un trésor dans votre maison (M6). Entre 2014 et 2016, il publie également deux guides aux éditions Chêne qui régalent, non seulement les chineurs en herbe, mais également les curieux. Il a ouvert, par ailleurs, son cabinet d’expertises et a créé le site www.toutestimer.com. Emmanuel Layan nous offre, à travers cette interview, sa vision du monde de l’art ainsi que les défis qui l’attendent. 

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Héloïse de Baudus : Bonjour M. Layan ! Vous avez publié, en 2014, Le guide du chineur (devenu Savoir chiner dans la réédition de 2016). A cette époque, aviez-vous déjà à l’esprit de publier votre guide Savoir chiner les objets du XXè siècle paru en 2016 ?  

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Emmanuel Layan : Quand j’ai écrit le premier livre, je me suis rendu compte qu’il fallait faire un choix sur les sujets. J’ai donc décidé de me concentrer sur cinq domaines. En réalité, les objets anciens et contemporains recouvrent bien plus que cinq domaines. Potentiellement, il y aurait encore deux ou trois livres possibles eu égard à cette diversité. Le premier livre ayant bien marché, j’ai proposé d’en réaliser un second sur le XXème siècle. 

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HB : Est-ce que l’on doit considérer votre dernier ouvrage, Savoir chiner les objets du XXe siècle (Chêne), comme la réponse à un engouement pour cette période-là ? 

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EL : On peut constater, en effet, un engouement pour le XXe au niveau des acheteurs qui s’intéressent, notamment, au vintage. Le livre répond, en un sens, à cet engouement mais le but de ces ouvrages, qui forment une série, c’est d’apporter des connaissances cumulatives. On peut envisager le second livre par rapport au premier. Il y a, par exemple, des domaines communs aux deux ouvrages comme la céramique. 

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HB : A quel public vous adressez-vous dans vos guides ? 

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EL : Ce sont des ouvrages de vulgarisation mais qui restent assez techniques dans la mesure où j’essaie de rendre les choses plus simples sans pour autant qu’elles soient simplistes. Je m’adresse, je l’espère, au plus grand nombre en essayant de leur donner les clés pour comprendre des questions qui peuvent paraître compliquées. 

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HB : Avez-vous d’autres projets d’écriture ? 

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EL : Oui, toujours ! Ecrire un livre, c’est vraiment beaucoup de temps et les achats de livres sont, malheureusement, assez difficiles. Quand on a publié un livre, il faut se battre pour en faire la promotion et en permettre la vente. J’ai plein d’idées mais n’ai pas spécialement le temps pour me remette à l’écriture tout de suite. Je pense attendre encore une année. 

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HB : En parlant de promotion, pouvez-vous nous dire combien de temps cela dure et en quoi cela consiste pour un auteur ? 

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EL : La promotion, ça consiste à essayer de faire parler le plus possible du livre auprès des médias qui sont des intermédiaires indispensables. On peut retrouver, notamment, les journaux spécialisés, nationaux, locaux, la presse quotidienne, mensuelle ou hebdomadaire. La promotion se concentre, dans le temps, après la sortie du livre mais elle s’anticipe aussi par l’envoi de communiqués de presse et l’envoi d’ouvrages auprès des magazines spécialisés. La promotion implique également un travail de dédicace. On peut, pour cela, accepter des demandes de dédicaces ou en organiser. 

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HB : Vous étiez récemment en dédicace à l’Hôtel Drouot, c’est bien cela ? 

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EL : Tout à fait et c’était très bien car il s’agit, en l’occurrence, d’une invitation de Drouot pour prendre part à leur libraire éphémère. 

 

HB : J’aimerais venir sur votre expérience auprès de M6 pour l’émission Un trésor dans votre maison : quel souvenir en gardez-vous et qu’est-ce que cela vous a apporté sur les plans personnel et professionnel ? 

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EL : J’en ai un très bon souvenir ! C’était un nouveau défi car je n’avais jamais fait de télévision. Cela a été complexe à mettre en place car il fallait trouver le bon compromis entre le monde des ventes aux enchères et celui de la télévision. Cela a permis de faire connaître mon métier au grand public. J’ai aujourd’hui ouvert mon cabinet d’expertise ainsi qu’un site internet (www.toutestimer.com). 

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HB : Dans le cadre de votre activité d’expertise, avez-vous eu des coups de cœur ou des surprises qui vous ont particulièrement marqué ? 

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EL : Ça arrive très souvent d’avoir des coups de cœur ! Il y a de nombreux objets intéressants qui méritent de l’attention. Le dernier en date est un vase Tiffany’s, maison newyorkaise, qui sera en vente le 22 mars à l’Hôtel Drouot. C’est un objet de la fin du XIXè siècle que je trouve extrêmement beau et l’estimation est à peu près entre 5 000 et 7 000 euros. Cet objet en dit long sur l’histoire du monde contemporain et des grandes sociétés aux Etats-Unis et à New York à la fin du XIXème. C’est un support à pas mal de réflexions sur la culture occidentale et l’histoire du goût. Le vase présente, en soi, un travail époustouflant du verre. 

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HB : Vous avez donc un métier rythmé par des coups de cœur ? 

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EL : Oui, je pense que c’est indispensable. Personnellement, je favorise beaucoup l’expertise dans mon travail, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les commissaires-priseurs. Je n’ai pas de maison de ventes aux enchères mais un cabinet d’expertises, qui est ce sur quoi je me concentre. Vous pouvez également rencontrer d’autres commissaires-priseurs qui sont plus concentrés autour de la vente. Je m’occupe plutôt de débusquer les objets. C’est sûr que lorsque l’on se concentre sur l’expertise, il y a beaucoup de coups de cœur. 

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HB : Selon vous quels sont les principaux enjeux du marché de l’art ? Y a-t-il eu des changements majeurs ces dernières années ? 

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EL : Il y a eu un changement très important qui est l’utilisation d’internet comme outil de publicité. C’est une petite révolution indispensable, à mon avis, à la profession et c’est une chance immense. De manière générale, les ventes aux enchères entrent dans l’économie numérique. C’est un vrai défi dont il faut pouvoir cerner les enjeux afin d’en tirer tous les bénéfices pour le métier. On a, aujourd’hui, un marché mondialisé dans son public et dans son offre et le numérique permet de travailler de manière délocalisée, ce qui est très intéressant. J’ai, en ce sens, créé mon site internet d’expertises. Je pense que le défi numérique est vraiment un défi important pour l’avenir.  

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HB : Il y a un réel enthousiasme depuis plusieurs années pour le vintage que vous évoquiez précédemment, comment définiriez-vous ce mot ? 

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EL : J’explique justement cela dans mon livre en m’intéressant à l’origine du mot. C’est un terme anglais qui vise les choses qui bonifient en vieillissant. On employait, autrefois, ce terme pour parler du vin ou du porto. A mon avis, le goût pour le vintage est dû à un certain sentiment de nostalgie, de rêverie quant à des époques que l’on n’a pas spécialement connues et ce, notamment chez les jeunes acheteurs. Cela implique aussi de la curiosité. En revanche, en salle de ventes on ne parle pas de vintage. On utilise un vocabulaire propre à l’Histoire de l'art. Il faut bien poser la distinction entre le milieu du marché de l’art et celui des historiens de l’art. Le vintage ne veut rien dire du point de vue de l’Histoire de l'art, on va parler d’art contemporain car le mot vintage est plutôt commercial. Il faut être prudent avec ce terme car il fleurit partout mais pas toujours à bon escient comme je le souligne dans mes livres.

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HB : Lors de vos expertises, et en salles de ventes, remarquez-vous des tendances qui se dessinent ? 

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EL : Il y en a en effet mais cela reste assez limité. Ce n’est pas parce que quelque chose est à la mode qu’il vaudra forcément cher. Il y a, depuis assez longtemps, un certain engouement pour le XXè siècle et c’est une tendance qui se confirme. Pour ce qui est du vintage, par exemple, on peut parler, dans une certaine mesure, de tendance mais cela ne veut pas toujours tout dire. On peut, par exemple, se demander si Jean Prouvé est vintage. Il l’est, dans un sens, car ses objets se bonifient avec l’âge mais ils peuvent parfois valoir jusqu’à 800 000 euros. Il ne s’agit donc pas spécialement de s’intéresser aux tendances et d’enfermer dans des catégories. 

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HB : Dans vos émissions, vous disiez souvent que les meubles se vendaient de moins en moins bien, est-ce toujours le cas ? 

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EL : On ne peut pas dire que la tendance s’est inversée, bien au contraire. 

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HB : Y a-t-il, dans votre parcours, des éléments, autres que les études, qui vous ont formé ?

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EL : Oui, je pense que dans ce métier il faut être attentif de manière permanente car c’est un métier de passion. La réalité du marché, c’est autre chose que les études. C’est important, lorsque l’on visite une ville, de se rendre ne serait-ce que quarante-cinq minutes dans les musées qu’elle offre pour voir toujours plus mais surtout comprendre ce qui nous entoure. Il faut vraiment être curieux et sans se mettre de barrières. Il faut aller régulièrement dans les musées et dans tous les types de musées. Car ce n’est pas en maîtrisant les œuvres très connues que l’on trouve dans les grands musées que l’on va pouvoir se familiariser réellement avec le marché de l’art. Il faut profiter du fait que la culture ne coûte pas cher. 

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HB : J’ai, cette fois-ci, une question par rapport à votre expérience personnelle. Vous avez fait l’Ecole du Louvre : pensez-vous que cela peut être rédhibitoire de ne pas l’avoir fréquentée pour passer le concours de commissaire-priseur ? 

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EL : Ce n’est pas rédhibitoire mais ce diplôme permet une reconnaissance internationale, au même titre que d’autres facultés bien évidemment. L’Ecole du Louvre permet une connaissance approfondie de la muséologie, la muséographie ou encore la conservation du patrimoine. C’est une institution culturelle majeure dans le monde occidental. C’est donc surtout une belle expérience personnelle afin d’appréhender les enjeux du monde contemporain et du patrimoine. En France, on a tendance à cloisonner en mettant les musées d’un côté et le marché de l’art de l’autre alors que dans la majorité des pays, c’est totalement différent et la frontière entre les deux est très perméable. Personnellement, faire cette école a bouleversé ma connaissance de l’Histoire de l'art par la densité et la richesse de la formation. Sachez que lorsque l’on fait un double-cursus, il y a des passerelles envisageables vers l’Ecole du Louvre pour atterrir directement en dernière année. 

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HB : Enfin, quels conseils donneriez-vous aux étudiants intéressés par le métier de commissaire-priseur ? 

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EL : Je pense que c’est un beau métier. Il est exigeant et il faut donc le réinventer. Il y a un héritage très riche et intéressant mais il faut, aujourd’hui, réfléchir à une dynamique contemporaine du métier. Il faut se demander ce que signifie être commissaire-priseur en 2017 et, de manière plus générale, ce que cela signifie au XXIè siècle dans une économie largement dominée par les maisons anglo-saxonnes telles que Christie’s et Sotheby’s. Il faut donc se demander comment on peut créer une société face à des géants et si le modèle français a toujours une place dans un monde des ventes aux enchères largement dominé par les anglo-saxons. Il faut donc penser à de nouveaux axes de dynamisme plus francophones. En somme, je donnerais comme conseil de vivre sa passion tout en réfléchissant à « comment faire les choses au XXIe siècle ». La nouvelle génération qui s’intéresse au marché de l’art doit vraiment réfléchir aux problématiques de la mondialisation et du numérique. On a déjà pris trop de retard et il faut le rattraper à tout prix.

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Propos recueillis par Héloïse de Baudus

ENTRETIENS

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Et retrouvez ses ouvrages aux éditions Chêne : 

- Savoir chiner : le guide qui dépoussière la brocante, 2016, 19.90 €

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- Savoir chiner les objets du XXe siècle, 2016, 19.90€

18 avril 2017 - Héloïse de Baudus

À PROPOS DE L'AUTEURE 

J'ai 18 ans et suis en première année de Droit/Histoire de l'art. Parmi mes hobbies : les voyages, les salles de ventes et partir à la rencontre d'acteurs du marché de l'art.

Héloïse de Baudus

Le marché de l’art face à ses défis : 

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« On a déjà pris trop de retard et il faut le rattraper à tout prix »

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- Echange éclairant avec Emmanuel Layan

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