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13 février 2017 - Emilie Cuer 

Food Porn au Tribunal Administratif

ACTUALITÉ

   « Les regards et mouvements de tendresse d'un taco envers un pain à hot-dog ne présentent pas le caractère de scène de sexe ». 

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Aussi étrange que cela puisse paraître, cette phrase fut rédigée par Mme Weidenfeld, juge des référés au tribunal administratif de Paris, examinant le recours déposé par plusieurs associations dont l’association Promouvoir, demandant la suspension du visa d’exploitation de Sausage Party. Alors non, mesdames et messieurs, une saucisse se frottant vigoureusement contre un petit pain n’est pas susceptible de « corrompre les mineurs » ! C’est ce qu’ont ainsi estimé les juges du tribunal administratif de Paris le 13 décembre dernier, rejetant la requête des associations, tout en conservant l’interdiction aux moins de 12 ans. 

 

« Sausage Party » est un film d’animation américain réalisé par Conrad Vernon et Greg Tiernan, mettant en scène les aventures de produits de supermarché qui découvrent avec horreur le sort qui leur est promis en cuisine après leur achat. D’un humour plutôt « trash », les auteurs nous donnent à voir des objets et produits de consommation courante, se livrant à du rentre-dedans, pour terminer dans une orgie de fruit et légumes. Avec son animation et son postulat de départ proche de Toy-Story (des objets qui parlent), on pourrait trouver ça enfantin, mais en pratique, que nenni.

 

L'article L. 211-1 du Code du cinéma et de l’image animée (CCIA) prévoit que « la représentation cinématographique est subordonnée à l’attribution d’un visa d’exploitation par le ministre chargé de la Culture ». En outre, chacun des films diffusés en salle, doit obligatoirement recevoir un visa d’exploitation délivré par le/la ministre de la Culture après recommandation de la Commission de classification des œuvres cinématographiques autrefois appelée Commission de censure. Une fois le visa d’exploitation obtenu, les textes prévoient que ce visa suivra le film tout au long de son exploitation quel qu’en soit le support (et doit être par exemple reporté sur les jaquettes des « DVD » etc..). 

 

Audrey Azoulay, la ministre de la Culture, suivant les recommandations de la commission de classification des films, avait interdit « Sausage Party » aux mineurs de moins de 12 ans compte tenu de la présence de scènes à caractère sexuel entre des aliments, interdiction déjà exceptionnelle pour un film d'animation. L’enjeu du recours déposé par les associations sur ce film de légumes sexy n’était donc pas des moindres, puisqu’elle demandait de porter le visa à une interdiction aux mineurs de moins de 16 ans. 

 

Après s’être livré à une analyse des scènes en détails, le juge des référés a estimé que « compte tenu notamment de la dimension humoristique du film, l’absence d’interdiction aux jeunes adolescents ne méconnaissait pas l’exigence de protection de l’enfance et de la jeunesse. Le juge des référés a considéré que les visas accordés n’avaient pas à être complétés par un avertissement. L’interdiction de la diffusion aux moins de douze ans, le titre, l’affiche et la bande annonce du film mettent suffisamment en relief son caractère « subversif » et l'omniprésence des connotations sexuelles.».

 

Outre l’aspect plutôt burlesque d’un procès ayant à juger du degré d’obscénité d’une bande de saucisses, l’interdiction des films et son contrôle, pose une difficulté sous-jacente importante. 

 

 

Si la sévérité de la classification des films semble se justifier par la nécessité de protéger les valeurs et âmes sensibles des consommateurs, il ne faut pas en oublier son incidence économique. Prenons l’exemple du film Nymphomaniac de Lars Von Trier, qui retrace le parcours d'une femme nymphomane autoproclamée, interprétée par Charlotte Gainsbourg. La cour administrative d’appel a annulé l’année dernière le visa d’exploitation délivré par la ministre de la culture et de la communication à la société Slot Machine pour le volume 1, dans sa version longue, en estimant que son interdiction aux seuls mineurs de moins de seize ans était insuffisante. 

Quel est alors l’avenir d’un film dont le visa a été relevé de 16 à 18 ans ? L’impact est d’abord visible sur la politique des grands-circuits tel qu’UGC ou Pathé, ne voulant pas projeter de film interdit au mineurs, mais le destin d’un film comme « Nymphomaniac» s’assombrit d’avantage en ce que cette censure impacte également sur la commercialisation, avec des plateformes de vidéo-à-la-demande comme iTunes refusant les films interdits aux moins de 18 ans. 

De plus, pour la diffusion à la télévision, la validation d’un film effectue un circuit différent de celui du visa d’exploitation cinématographique. La classification est en effet effectuée par la chaîne elle-même. Si celle-ci paraît libre, la chaîne peut néanmoins être sanctionnée après diffusion par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) si ce dernier estime que la classification n'était pas assez sévère. En pratique, le CSA exige toujours que la classification soit aussi sévère qu'en salles, voire d’avantage…

 

De nos jours, la prévisibilité des visas d’exploitation semble perdre de sa cohérence, et l’absence de lisibilité a des conséquences importantes sur le travail des producteurs ainsi que des distributeurs, qui ont besoin de pouvoir déterminer les restrictions qui accompagneront leurs films pour anticiper les éventuels retours sur investissement. Il faudrait donc trouver un juste milieu entre interdiction nécessaire, développement économique, et liberté d’expression. 

 

L'association Promouvoir avait également réussi en 2015 à faire interdire aux moins de 18 ans (au lieu de 16) "Love" de Gaspar Noé en raison de scènes de sexe non simulées ; à interdire au moins de 12 ans de "La Vie d'Adèle" d'Abdellatif Kechiche ; et à faire annuler le visa d'exploitation d'un autre film de Lars Von Trier, "Antichrist". 

 

Manque de chance pour l’association, BFM rapportait il y a quelques jours que le ministère de la Culture (à l’initiative de Mme Azoulay) va publier d'ici début février un décret mettant fin à cette automaticité d'interdiction des films "comportant des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence" aux moins de 18 ans. 

Désormais, "l’interdiction aux moins de 18 ans sera réservée aux œuvres comportant des scènes de sexe ou de violence de nature à heurter gravement la sensibilité des mineurs " (- ministère de la Culture). Cette formulation enlèverait donc le critère de la non-simulation, qui selon le rapport de Jean-François Mary (président de la commission de la classification des films) remis au ministère de la Culture, avait perdu son intérêt au cours de ces dernières années. Un rapport sexuel feint à l’écran peut être tout à fait explicite. De plus, les professionnels du cinéma déploraient pour la plupart ce choix binaire en ce que si le critère objectif de la scène de sexe non simulée était caractérisé, il n’y avait d'autre possibilité que d'interdire le film aux mineurs de 18 ans. 

Cet assouplissement de la classification permettrait peut-être à l’avenir l’autocensure de certains réalisateurs…

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Emilie Cuer

À PROPOS DE L'AUTEURE 

Emilie Cuer

Etudiante en troisième année de double-licence Droit et Histoire de l'Art, possédant le super-pouvoir de transformer mes journées de 24H à 48H. Je fais de la photographie pour des concerts de punk, tout en restant une personne douée d'une certaine sensibilité, il faut arrêter les amalgames. J'ai un point faible partagé avec Stéphane Bern : les teckels.

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