top of page

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Marin Sauveur

Je m’appelle Marin, j’ai 19 ans, je suis en L3 de Science politique. Je suis passionné de cinéma, de philosophie et de memes sur internet 

ACTUALITÉ

17 novembre 2016 - Marin Sauveur

Ivan Jablonka, le courage du roman vrai 

   Le prix Médicis et le prix littéraire du Monde ont récompensé cette année Laetitia ou la fin des Hommes d’Ivan Jablonka, un livre hybride, entre histoire, sociologie et littérature. 

Ce nouveau livre n’est pas vraiment un roman, ou alors un roman sur l’aventure que peut être une recherche sociologique menée avec passion. A travers le récit de la courte vie de Laetitia Perrais, assassinée en 2011 et dont le corps fut l’objet d’une recherche policière véritablement romanesque, l’historien rédige un manifeste pour le décloisonnement des savoirs et de la culture. Tour à tour enquête ou oraison funèbre, voici un texte qui dépoussière la figure de l’intellectuel et celle de l’objet sociologique.

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

 

Ce que Jablonka doit à Foucault 

​

Dès la première page, l’ouvrage se tient sur une corde sensible : entre le devoir de mémoire que l’auteur qualifie de « service public » et l’instrumentalisation du fait divers au service d’un discours politique. Jablonka se tire de cette impasse en suivant une méthode qui doit beaucoup aux analyses de Michel Foucault, présentes en filigrane du texte. S’il y avait, en effet, un principe méthodologique déterminant dans ce livre, il se résumerait selon les mots de Foucault dans Il faut défendre la société : « Je crois qu’il faut analyser la manière dont, aux niveaux les plus bas, les phénomènes, les techniques, les procédures de pouvoir jouent ». Ainsi, Jablonka analyse la manière dont la vie de Laetitia, ses liens familiaux, son insertion dans les milieux de l’assistance publique, sa scolarité sont pris dans des relations de pouvoir. Il montre alors comment l’histoire de Laetitia et celle du traitement politique de l’affaire par Nicolas Sarkozy est un analyseur de la société française et des rapports de force qui la traversent. Paradoxalement, c’est un lieu « autre », en dehors des réseaux, ni ville ni banlieue, dans les environs de Pornic qui devient lieu de problématisation du système politique et national. 

​

L’émotion et l’historien 

​

Toutefois, dans cette enquête a priori classique, Ivan Jablonka ajoute un grain de sable qui fait la force (et sans doute les limites) de son livre : l’émotion. D’une part, l’ouvrage accorde une place importante aux sentiments de Laetitia, la fait renaître, non pas en tant que victime de meurtre, mais en tant qu’individu et donne à entendre ce que la jeune fille a du ravaler de colère, de haine et de tristesse. C’est cette focalisation sur les émotions de Laetitia qui la sort du rang d’objet sociologique d’intérêt pour l’ériger en figure de la bravoure. Sur ce point, l’auteur fait oeuvre de romancier, il typifie le caractère de Laetitia par opposition avec celui de sa soeur Jessica, victime collatérale auquel le livre rend justice. De l’autre côté du processus sociologique, les émotions du chercheur lui-même, plus encombrantes, s’affirment. Proche d’Emmanuel Carrère ou de Pierre Michon, Ivan Jablonka s’attache à « d’autres vies que la sienne » sans que cette reflexité de l’étude sociologique n’entache l’exactitude de l’analyse. Si la compassion de l’auteur pour Laetitia est un peu lourde à la fin du livre avec une juxtaposition de chapitres sous formes d’hommage, cette compassion sert toujours le propos de l’ouvrage : la résurrection de la jeune fille, non pas dans un discours qui instrumentalise sa mort comme celui de N. Sarkozy, mais dans un discours d’amour. 

 

Bourgeois, forcément bourgeois 

​

Ce discours nouveau expose l’auteur à des critiques que l’on peut résumer selon deux lignes directrices. D’une part, certains membres de l’académie reprochent à Jablonka de considérer l’Histoire « comme une littérature contemporaine » et mettent en doute la scientificité de l’ouvrage ; d’autre part, certains dénoncent le voyeurisme d’un auteur bourgeois qui ne peut comprendre la condition de Laetitia que sous une forme théorique imperméable au vécu d’une classe sociale « inférieure ». A ces deux critiques, je crois que l’on peut répondre en faisant valoir le courage de l’ouvrage et de son auteur. Ce livre a l’audace d’assumer sa littérarité et ne cherche pas à entrer en concurrence avec ceux qui défendent l’Histoire universitaire comme un pré carré. Il fait le choix d’une approche plus incarnée, plus subjective de la réalité sociale. L’auteur a le courage de ne pas disparaitre derrière son livre, de ne pas cacher l’éloignement de son monde avec celui de son sujet. Certes, Jablonka est un universitaire, parisien, il possède une culture plus valorisée que celle de Laetitia, mais son regard est celui d’un auteur bourgeois qui assume sa position sociale et refuse la perméabilité de son milieu avec celui de Laetitia.  

 

Le courage d’Ivan Jablonka, c’est finalement le courage d’écrire, selon ses propres mots : « L’histoire n’est pas fiction, la sociologie n’est pas roman, l’anthropologie n’est pas exotisme, et toutes trois obéissent à des exigences de méthode. À l’intérieur de ce cadre, rien n’empêche le chercheur d’écrire. » Si Jablonka fait oeuvre d’historien ce n’est donc pas parce qu’il écrit un ouvrage qui cherche ses méthodes du coté de la science, c’est plutôt parce qu’il reconnait que l’Histoire ne peut se soustraire au récit et donc, en partie, à la littérature. 

 

 

✒︎ Laëtitia ou la fin des hommes, Ivan Jablonka. Ed. du Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 400 p., 21 EUR

​

​

Marin Sauveur 

bottom of page