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5 novembre 2016 - Ariane Dib 

Juste la fin du monde : le système Dolan

ACTUALITÉ

   L’un des commentaires que j’ai le plus entendu à propos du réalisateur, en général et tout particulièrement après Juste La Fin du Monde, c’est « il filme comme s’il allait mourir demain ». Une telle phrase prend toute sa force lorsqu’on la pense en parallèle à la pièce de Jean-Luc Lagarce dont le film est adapté. Le dramaturge, lui-même mourant du SIDA au moment de la création de Juste la fin du monde, traite des thèmes qui lui sont proches : l’absence, et la réapparition fantasmée et fuyante du fils prodigue (également présent dans J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne). Lagarce écrivait bien face à la venue de sa propre mort. Finalement, je me demande s’il ne s’agit pas d’une des rares similitudes entre l’œuvre de ces deux artistes. 

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En effet, Juste la Fin du Monde relate le retour en province d’un jeune auteur dans sa famille, après douze ans d’absence, pour leur annoncer sa mort prochaine. Seulement, il n’y parviendra pas, se heurtant à la béance qu’il a lui-même créée en s’extrayant de leurs vies, qui pourtant ont continué, fondées sur ce vide finalement rendu infranchissable. Mais si le thème est commun, les moyens mis en œuvre par les deux supports me semblent radicalement différents. Dolan choisit de ne pas aller dans une adaptation cinématographique de la pièce, il ne reprend presque aucune des images employées par le dramaturge. Ainsi, par exemple, on ne retrouve pas la référence au cri qui traverse toute la pièce et qui est reprise dans le monologue final, et très peu (voire aucun) des dialogues sont laissés intacts. Ce décalage est tel que la continuité ne s’opère pas ici entre la pièce et le film mais bien au sein de la filmographie du jeune réalisateur québécois. Cet opus porte la signature de Dolan dans ses effets visuels marqués, dont la beauté est sensiblement recherchée, dans la puissance d’une atmosphère narrant un moment pourtant banal (qu’il s’agisse d’un apéritif familial où la gêne est palpable ici ou les retrouvailles tendues d’un couple au bord du gouffre après une journée de travail dans Laurence Anyways). Ainsi, que l’on soit touché ou non par le travail de Dolan, il faut lui reconnaître, ce que l’on constate chez les grands artistes : la capacité à se former un langage propre. 

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Personnellement, je pense que c’est ce qui pourrait me faire « pardonner » à Dolan d’avoir tant transformé cette pièce incroyable, il a réussi à se l’approprier pleinement.  Finalement, ce que l’on perd par ce passage d’un support à un autre, il le réintroduit avec ses propres symboliques. Dolan semble ne pas reprendre les images si frappantes de Lagarce, auxquelles il ne fait que se référer comme en clin d'œil : je pense notamment à cette façon de transcrire le combat pour l’expression des membres de cette famille qui cherchent constamment à toucher l’autre, Louis, en apposant des lignes entières de propositions, de formulations destinées à trouver la plus exacte.

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De même, le réalisateur laisse de côté cet effet de transcendance de l’espace-temps permettant aux morts et absents de s’exprimer. Face à cela, apparaît par exemple dans cette interprétation du texte, l’image de la fumée qui emphase le caractère oppressant d’une situation où chacun est seul face à ses angoisses : Louis ne parviendra pas à annoncer la raison de sa venue ou à se faire pardonner du passé, sa mère est forcée de constater que sa famille s’effrite, sa fille sans avenir dans une ville morte, son autre fils enfermé dans sa colère.

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Enfin, ce que je trouve vraiment exceptionnel chez Dolan (et finalement en cela il reprend bien Lagarce), c’est la subtilité dont il fait toujours preuve pour créer des personnages vrais : si le sort de Louis inspire la compassion on ne cache pas qu’il en demeure un égoïste froid, tout comme dans Mommy où les personnages n’étaient jamais dépourvus de failles, la mère étant visiblement perdue et le fils agressif. 

 

Ariane

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Ariane Dib

Je m’appelle Ariane, j’étudie l’histoire de l’art et le droit depuis plus d’un an et suis originaire de Paris. A l’avenir j’aimerai m’orienter vers les métiers de la culture. Je suis obsédée par le thé, l’art du XIXe siècle et les cactus. 

Image : Affiche du film Juste la fin du monde, Xavier Dolan, 2016
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