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Paterson

Photo du rédacteur: ApartéAparté

Avec ce dernier film, Jim Jarmush parvient à sublimer à travers la caméra quelque chose d’assez complexe évanescent : la beauté et le bonheur de la banalité du quotidien. Paterson est le patronyme du personnage principal, brillamment incarné par Adam Driver, mais c’est aussi le nom de la ville dans laquelle il vit avec sa fiancée, Laura, interprétée par la talentueuse Golshifteh Farahani. L’artiste nous permet d’entrer dans la vie béate de ce couple, un monde d’une tranquillité absolue, traversé par des scènes quotidiennes très banales. Malgré cette quiétude, le réalisateur, parvient à faire surgir de cet ordinaire insignifiant tout le lyrisme et la grâce qui réside dans ces choses journalières et habituelles. 


   Bien qu’il puisse être ressenti comme trop lent, trop long, trop mou, ce film, par sa douceur, parvient à toucher son public, lui faire du bien, voire le soigner. Tout l’enjeu réside dans cette capacité à susciter l’émotion par une histoire simple, dont le sens ressort par la mise en scène, la beauté des décors et des couleurs, la structuration des plans, jouant notamment sur la symétrie et des vues en contreplongée, et surtout cette répétition de rites quotidiens de manière machinale. Alors, dans ce poème visuel, le réalisateur nous montre que la poésie et les plaisirs peuvent venir se loger dans les choses les plus simples de la vie. 

   Par ailleurs, on retrouve une sorte de mise en abyme de la poésie au sein même de ce film-poème, puisque le protagoniste, qui est chauffeur de bus, est lui aussi poète. Il écrit ces vers sur un petit carnet lors de sa pause déjeuner, qui viennent refléter l’ordinaire de son quotidien, avec un assemblage de mots simples de sens, qui semble flotter dans le temps, s’apparentant presque à de l’art abstrait. En effet, les mots prennent une dimension conceptuelle : au-delà du sens qu’ils portent leur valeur réside dans leur forme qui s’entremêle au film, puisqu’au fur et à mesure que Paterson récite son poème dans sa tête, les mots s’inscrivent et lévitent à l’écran, se superposant à la scène. Ses vers jouent sur les répétitions et les rimes, dans une simplicité singulière et une modestie frappante du contenu et de la forme, ce qui fait l’essence même de son art.

I have eaten

the plums

that were in the icebox

and which

you were probably

saving

for breakfast

Forgive me

they were delicious

so sweet

and so cold

    Ainsi, sa poésie fait écho avec la manière dont fonctionne l’œuvre de Jarmush, c’est à dire, avec une histoire ordinaire et beaucoup de répétition dans les motifs et les plans. Chaque jour commence de la même manière, avec une vue en contreplongée sur le couple posé sur le lit face à face. On peut parler de rimes visuelles, raisonnant avec la poésie de Paterson, le protagoniste et plus généralement Paterson le film. Cette redondance crée une lenteur jusqu’à l’effacement d’une conscience de l’écoulement du temps. En effet, le spectateur perd cette notion de la durée, ce référant à cette routine machinale qui donne la cadence et joue comme marqueur temporel ; tous les matins il se réveille à la même heure, et regarde sa montre. Il va au travail, rentre à la maison, dine avec sa compagne, sort promener le chien et va boire un verre au bar. Tous les jours se répètent et c’est dans cette mollesse et ce plaisir de la répétition que se retrouve l’ambiguïté du temps qui semble s’écouler anormalement ; d’une part l’effet donné est celui d’un temps qui se répète à l’infini, de l’autre, celui d’une suspension du temps qui stagne. Ainsi, ce personnage imperturbable, qui se laisse bercer par sa continuité interprète parfaitement ce temps qui coule. 




​   Cette beauté de la ritournelle traduit un certain apaisement, liée à cette façon de vivre très planifiée et stable du personnage, qui pour finir, n’a rien d’intéressant et peut ennuyer. Mais c’est justement cette absence d’aventure et de conflits, ce confort dans la routine, qui dégage cette force poétique. Cette légèreté interroge un aspect plus philosophique, celui du choix d’une vie simple, puisque Paterson se complait dans cette routine, il vit humainement, humblement. Il est un artiste. Mais cette poésie, épurée et savoureuse, il ne l’a fait que pour lui, sans rechercher aucune forme de reconnaissance ou de popularité. Il choisit de rester dans cette existence simple qui lui suffit. 

   Alors, cet éloge de la simplicité questionne également les frontières de l’art et du statut d’artiste. L’art peut-il être d’une simplicité telle, ne faisant appel à aucun savoir et ne se rattachant à aucun sujet saisissant ? Un film peut-il ne pas avoir d’histoire ni de péripéties ? Jim Jarmush cherche a nous montrer qu’on peut faire de tout un art, qu’aucun art n’est supérieur ou inférieur à un autre. Ce refus de hiérarchiser aussi bien dans l’art du cinéma que celui de la poésie, s’inscrit dans cette célébration des petites choses de la vie au sein des quelles on peut toujours y trouver une dimension de plaisir et de beauté, et surtout un côté artistique comme le fait parfaitement ressortir ce réalisateur. Le réalisateur nous montre Paterson comme un artiste fasciné par la poésie, qui ne cherche pas à s’imposer comme tel au regard des autres, et cela ne remet pas pour autant son statut en cause. 


   Dans ce minimalisme contemplatif et cette errance temporel, l’ordinaire devient extraordinaire, magnifié par ce lyrisme léger et plein de douceur. Alors, une fois sortie de la salle de cinéma, on comprend que la poésie est aussi vieille que le monde, se donne à voir partout où l’on veut bien la voir, elle n’opère aucune hiérarchie et se décline à toute échelle ; la poésie dans la nature, la poésie dans les relations humaines, et la poésie du vers qui s’entremêlent ici à une poésie cinématographique. 






Clara Gavelli


Je suis étudiante en 3ème année de bi-licence de Droit et d'Histoire de l'art. 


J'aime le café, les couleurs pastel, les rouleaux de printemps et la mythologie grecque.

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